Dimanche 26 juin
L’étape qui inquiète le plus Jean-Louis.
Après avoir pris connaissance des conditions météorologiques et routières auprès de notre hôtesse, nous nous dirigeons avec une petite
appréhension vers la F35 : la piste du Kjölur.
La traversée de l’Islande du Nord au Sud, le désert à l’état pur sous une alternance de pluie et de soleil.
Nous longeons la vallée fertile de la Blöndudalur par la 732 puis attaquons la F35.
Première halte au bord du lac Mjóavatn bleu turquoise. Il fait un vent du diable, nous avons du mal à ouvrir les
portières. Le froid arctique nous saisit, au prochain arrêt, il faudra mieux se couvrir.
La piste empierrée longe l’immense lac Blöndulon, le paysage est désertique, pas une fleur, pas une touffe de verdure,
pas un mouton, pas une voiture.
A l’horizon se détachent à gauche le Hofsjökull et à droite le Langjökull
enneigés.
La route se dégrade encore.
Nous arrivons à Hveravellir, véritable oasis de chaleur au milieu d’un désert glacial, site géothermique très
actif : solfatares vomissant des fumées soufrées ; mares grises bouillonnantes bordées de sédiments pourpres, noirs ou bruns ; cascades roussies de dépôts de soufre, bassins d’eau
chaude turquoise.
Dans un bruit de clapotis et de succion, accompagnés de cognements sourds, vapeurs et gaz comprimés par la
boue à haute température crèvent la surface des bassins bouillonnants en dégageant une forte odeur de soufre.
Une source d’eau chaude se nomme Eyvindarhver en l’honneur d’un hors-la-loi qui habitait dans la petite
cahute qu’il avait creusée dans une brèche de lave au XVIII° siècle.
Une autre Bláhver en raison de la couleur d’un bleu caractéristique dû à la présence de silice. Le geyser
Öskurhólshver crache un panache irisé.
La température de la jolie mare glougloutant ci-contre est de 87°. Un peu chaud pour s’y baigner !!!
Une autre source d’eau chaude alimente un bassin par un tuyau, un autre tuyau d’eau froide rafraîchit le bain.
Nicolas barbotte avec délice dans une eau à 38/45°. C’est difficile de s’extirper de cette douce chaleur, car, malgré le soleil, le vent
souffle et la température extérieure indique 9°.
Par la F735 très cahotante, nous montons vers Þjófafell, le panorama est grandiose, à couper le souffle. La route est
très difficile, les grosses pierres roulent sous la voiture, des plaques de glace nous font déraper malgré la vitesse réduite.
Nous faisons demi-tour et nous retrouvons à Hveravellir de nouveau sur la F35.
Comme c’est dimanche, la pompe à essence est fermée, dommage, car la jauge est descendue bien vite.
Nous continuons sur la piste déserte, la vue est magnifique sur le Hofsjökull et le Langjökull
couverts de neige.
Nous bifurquons à gauche par la F347 vers Kerlingarfjöll (la montagne des sorcières).
Nous passons le premier gué sans encombre.
Au deuxième, j’enfile mes sandales de mer pendant que les hommes admirent la cascade de Gýgjarfoss et je brave les
flots pas si froids que je ne le pensais.
Nous pouvons traverser sans problème.
Quoi ! Un troisième gué ! Aucun guide n’en fait mention, ni le récit des Gilabert. Celui-ci nous paraît bien plus large et profond que les précédents.
Les rivières sont farceuses ici, elles changent de lit et créent de nouveaux bras tous les ans.
Rebelote, sandales et bâton.
Je pénètre dans l’eau, le courant est assez fort. A cet instant, arrivent deux Français qui s’écrient : « mais ils n’en
parlent pas dans le Guide du Routard ! ».
Ils sont éberlués de me voir au milieu du gué et immortalisent la scène.
Après moult tergiversations, nous repérons un itinéraire et nous nous lançons dans les ondes.
Ouf, nous sommes passés. Nous attendons nos Français car leur Jimny est plus
bas que notre Kia et c’est leur premier gué. Tout va bien pour eux aussi.
D’un seul coup, apparaît le refuge de Kerlingarfjöll avec ses croquignolets petits chalets verts et rouges.
Il vaut mieux ne pas avoir oublié le pain, car l’habitation la plus proche est à 100 kilomètres !!!
La pompe à essence est vide et notre jauge se rapproche de zéro.
Un piton ruiniforme domine une langue glaciaire qui s’étiole, salie par les
cendres volcaniques de la dernière éruption de l’Hekla
Le soleil brille et le ciel est d’un bleu céruléen.
Nous continuons la route sur 4 kilomètres et contemplons le panorama : neige (il y peu de temps encore, on pratiquait le ski ici),
montagnes de ryolithe* et palagonite*, plaines noires, champs de fumerolles, solfatares, vues sur le Hofsjökull, le mont
Snækollur (la tête de neige) 1482 m.
De quelque côté que l’on se tourne, ce n’est que magnificence, couleurs
hallucinantes, large palette chromatique, l’appareil photos cliquète, les
onomatopées et interjections fusent.
C’est beau, magnifique, somptueux, majestueux, étrange, féerique, nous ne nous lassons pas de nous extasier sur le paysage.
C’est ici que l’appellation de « Terre de glace et de feu » sied le mieux à
l’Islande. Les versants fumants et hauts en couleur des rhyolites, entaillés par de profonds ravins, se dégagent progressivement des glaces.
Nous redescendons au refuge, nos Français s’installent et eux
aussi s’inquiètent pour l’approvisionnement en essence.
Nous rebroussons chemin et les 10 kilomètres qui nous séparent de l’intersection avec la Kjölur sont vite avalés, nous
passons les gués «à l’islandaise» sans oublier de nous arrêter à la cascade de Gýgjarfoss que je n’avais pas eu le loisir de contempler.
Il est 15h30, nous pique-niquons à la croisée des deux pistes.
Un cycliste !!!!!! apprécie le café chaud que nous lui offrons.
Nous reprenons la route ou plutôt la piste.
La rivière Jökulkvísl s’étire lascivement en larges méandres.
Le lac Hvítárvatn (où la rivière
Hvítá prend sa source) vert, bleu, turquoise, scintille au soleil sous les cimes enneigées du Landjökull.
Nous traversons le désert de terre et de roches dominé par le sinistre mont Bláfell
(1204 m) tout noir.
Le désert cède la place aux lichens pourpres et
aux herbus, quelques fleurettes blanches attentent nos amis les moutons absents depuis 250 kilomètres.
La route s’élargit et redevient goudronnée, les lupins font leur apparition, la civilisation n’est pas
loin.
Un grand parking nous indique que la cascade de Gullfoss (la chute d’or) est proche.
Cette cascade d’une hauteur de 32 mètres issue de la Hvítá (rivière blanche) s’élance dans une gorge de 70 mètres de
profondeur creusée par les deux chutes. Son débit est de 109 à 2000 mètres cubes par seconde.

La rivière plonge pour se vaporiser en pluie quelques dizaines de mètres plus bas, faisant scintiller les milliers d’éclats d’obsidienne qui composent la plate-forme
entre les deux chutes.
Nicolas descend avec moi et nous faisons tremper par les embruns.
Les roches d’obsidienne noire sont glissantes, je dérape et m’écroule en m’entaillant sévèrement le genou. Heureusement que la pharmacie
de la voiture est bien garnie et que Jean-Louis qui craint toujours pour les siens n’est pas là.
Lorsque par la suite, avec Nicolas, nous évoquerons Gullfoss d’un ton sibyllin, nous dirons : Pour une belle
chute, c’était une belle chute !!!
Un arc-en-ciel traverse la cascade et nous pouvons en toucher l’origine.
Au début du XX° siècle, des industriels étrangers envisagèrent de construire une centrale hydroélectrique. La fille du propriétaire des
lieux, Sigriður Tómasdóttir, s’y opposa et les menaça de se jeter dans les chutes. Après de nombreuses interventions auprès des puissants islandais et sa détermination,
Gullfoss a été intégrée dans le parc national.
Sur le chemin qui descend à la cascade, une stèle rend hommage à Sigriður.
Dans un enclos, des chevaux islandais attendent les cavaliers de l’école équestre.
Ils sont beaux et doux ces petits chevaux avec leurs grands yeux de velours, certains préfèrent les caresses des touristes aux bottes
des élèves.
Nous continuons jusqu’à Geysir (celui qui jaillit). De
loin, dans le ciel bleu limpide, nous voyons s’élever le panache de Strokkur (la baratte), le petit frère du Grand Geysir qui a donné son nom à tous les geysers
du monde.
Les geysers sont une manifestation volcanique, qui découle du réchauffement
des eaux qui traversent le sous-sol par le magma qui remonte près de la surface du sol. Au contact des roches bouillantes, l’eau se métamorphose en vapeur et quand la pression augmente, une
colonne d’eau bouillonnante et de vapeur apparaît et jaillit plus ou moins haut.
Depuis quelques années, le Grand Geysir ne jaillissait plus, laissant sa place à Strokkur. Il n’était
« remis en service » qu’aux grandes occasions en le remplissant de lessive, ce phénomène physique est simple : les bulles de savon équivalent aux bulles de vapeur qui se forment
spontanément dans l’eau surchauffée. En entraînant une réaction en chaîne, elles provoquent le jaillissement d’un jet qui s’élance dans le ciel avec un volume 1500 fois supérieur au volume d’eau
vaporisée.
Depuis l’éruption de 2000 il se réveille de temps à autres et jaillit de nouveau à 60
mètres.
Nous étudions l’activité de Strokkur : l’eau du cratère commence à se balancer, puis se soulève doucement,
redescend, le balancement s’accroît, une bulle aigue-marine se forme, enfle, le geyser jaillit dans un bruit d’enfer et se vaporise à une hauteur d’environ 20 mètres, ensuite l’eau se disperse,
douchant les curieux, puis l’eau du cratère est à nouveau calme, par la suite, toutes les 2 à 10 minutes, le cycle se reproduit . Plus le temps entre deux jaillissements est important, plus
le panache est élevé.
Photo Skúll Þor Magnússon
Fascinés nous passons un long moment à nous repaître du spectacle, puis nous nous promenons au milieu d’autres geysers en sommeil, de
fumerolles, de marmites grondantes, de vapeurs malodorantes.
Nous sommes intrigués par un bruit inhabituel, c’est un groupe de chevaux islandais* qui trottent, non, qui
töltent* sur la route goudronnée.
Les pompes à essence situées en face sont en panne et la jauge est au plus bas, le pompiste nous envoie à
Reykholt situé à 25 kilomètres, mais en consultant la carte, nous constatons que sur notre chemin à Uthlíð à 15 kilomètres, se trouve une pompe. Tentons le coup.
Nous n’avons droit qu’à 3000 couronnes soit 27 litres, cela nous suffira pour arriver jusqu’à une autre station-service.
A quelques kilomètres, nous trouvons notre hébergement de Efsti-Dalur.
Nous sommes accueillis par un affectueux chien blanc borgne qui ne nous lâche plus.
Notre chambre douillette est équipée d’une salle de bain privative bien que réservée en catégorie II.
Les fenêtres et la porte sont munies de rideaux. Deux bonnes nuits en perspective.
Notre charmante hôtesse nous signale que dorénavant, elle fait demi-pension. Alléchés par la bonne odeur qui s’échappe de la salle à
manger, nous nous laissons tenter.
Nous dînons divinement : soupe poireaux pommes de terre, rôti de porc fumé, pommes de terre, chou rouge, mais toujours pas de
dessert.
Nous nous rendons à Reykholt pour compléter le plein et laver notre voiture crasseuse.
Durant notre absence, notre hôte nous a préparé le hot-pot.
Nous nous laissons glisser dans une délicieuse eau chaude avec le chien blanc et son compagnon noir venus nous tenir compagnie. Ils sont
si affectueux et démonstratifs que nous craignons qu’ils ne viennent nous rejoindre.
Nous rédigeons nos cartes et le journal, puis nous nous lovons sous notre couette.
Demain sera encore une longue journée.
La F35 n’est pas aussi ardue et difficultueuse que nous le pensions.
* Si vous voulez en savoir plus sur les chevaux islandais,
voir le chapitre Le cheval islandais
** Si vous voulez en savoir plus sur les pierres, voir le
chapitre Géologie